Il semblerait que nombre d’entre nous cherchent à qualifier notre famille. Est-ce parce qu’on sent qu’elle a une (trop ?) forte influence sur notre vie ?

Une famille soudée face aux obstacles, ou la création d’un clan

Dans un précédent article écrit par Patrick, on a parlé de résilience. Pour résumer rapidement les propos, Patrick disait que nos parents n’ont pas eu une vie facile, qu’ils ont dû faire face à de nombreux obstacles. D’où cette notion de résilience. Ils ont affronté ensemble les difficultés. Le revers est que ces obstacles et mésaventures rencontrés ont clairement forgé une peur de l’inconnu, une peur de l’étranger. Alors, les décisions étaient souvent prises à trois, les uns demandaient toujours conseil aux autres. Ainsi, ils ont pu réussir ensemble et être là où ils en sont aujourd’hui. Cette réussite, selon moi, s’explique notamment par le fait qu’ils ont formé rapidement un clan. Un pour tous, tous pour un. Ensemble pour être plus forts face aux dangers extérieurs, face aux personnes extérieures.

Je précise avant tout que le but de cet article n’est pas de critiquer qui que ce soit. Même si c’est le cas… Et alors ? Ne faut-il pas se poser des questions après des échecs ? Se remettre en question ? La critique peut être bonne quand elle est bien expliquée, quand son objectif est bienveillant. Oui, la critique peut être bienveillante, et dans ce cas, nous avançons vers quelque chose de meilleur.

Donc, vous remarquerez que notre famille, ce clan, est même devenu un ovni parmi les chinois de notre communauté. Nous sommes réputés pour être une famille soudée, nous sommes réputés parce que nos pères travaillent ensemble, sont restés unis, ne se critiquent pas, prennent les décisions ensemble, vivent proches les uns des autres. Ils sont arrivés en France ensemble, se sont suivis dans le 93, se sont suivis dans le 12ème et à Vincennes. Ils se suivent et ne se quittent pas. Ils font bloc, ils forment un clan. Ils sont d’ailleurs aussi réputés pour avoir un cercle d’amis très restreint.

Le clan a permis à nos pères de réussir matériellement mais qu’en est-il du reste ? Qu’en est-il du manque de confiance que nous avons, nous, envers nous-mêmes, à réussir par nous-même ? Qu’en est-il de la peur que nous avons chacun d’entre nous de ne pas réussir sans l’aide du clan ? Qu’en est-il du côté affectif ? Parlons crûment : des échecs à ce niveau-là, il y en a eu et combien ! Ces échecs, c’est principalement notre génération qui les subit, mais pas uniquement. Car le clan a été formé par les frères, selon une certaine hiérarchie acceptée de tous. Système patriarcal à fond. 

Ce clan, source de pression

En effet, selon moi, la formation de ce clan est à la base de nos échecs. La réussite de nos parents induit une réussite de notre part. Nous avons donc cette pression, cette obligation de réussite à nous-seuls ce que les trois familles ont réussi à faire ensemble. Nous ne travaillons pas ensemble. Nous avons chacun un métier, une profession. Nous sommes seuls face à nos peurs, face à nos contraintes étudiantes et professionnelles. Ils étaient trois. 

Cette pression commence à l’école : écoles privées cotées, internat d’élites… Nous étions alors mis en compétition les uns les autres. Et elle est sacrément rude, cette compétition. Ceux et celles qui se trouvaient en difficulté à un moment ou un autre de leur parcours scolaire et universitaire ont commencé à perdre confiance en eux. En leur valeur. Pour ma part, ce fut au moment de choisir mon master, le domaine dans lequel je souhaitais travailler. J’ai tenté un master à Dauphine, j’ai été acceptée à l’écrit mais je suis allée à l’oral sans aucune préparation. J’y suis allée comme si j’allais au ciné. Inconsciente, naïve mais surtout ignorante comme jamais. Je me suis bien ramassée. Aujourd’hui je regrette tellement que personne n’était là pour m’expliquer. Les plus jeunes ont pu avoir des modèles à suivre, ou à ne pas suivre.

Enfin, je sais que je ne suis pas la seule à faire ce constat d’échec à un moment donné, entraînant une grosse perte de confiance en nous. À ce moment-là, qui pour nous guider ? Qui pour nous comprendre ? Pour nous aider ? Pour ma part, l’homme que j’avais choisi.

Ce clan, toxique pour les couples ?

Il est évident que nos pères ont une très haute estime d’eux-mêmes. Ce qui est normal, étant donné leur réussite. Cette forte estime d’eux-mêmes suppose donc une manière de regarder les autres avec un certain mépris, un certain dédain. C’est à ce regard-là que les hommes et les femmes que nous souhaitons présenter à nos parents doivent faire face. Et là, il y a eu de sacrés dégâts. En effet, nous devons être conscients aussi que les conjoints ne se retrouvent pas face à un seul beau-père mais à un beau-père qui a la force et la confiance de trois hommes réunis. Les conjoints qui ont tenté d’entrer dans cette famille en ont fait les frais.

Ce qui est paradoxal dans notre famille, dans ce que nous avons vu de notre génération, c’est que ce sont les hommes qui ont été mariés à la famille de la femme. Alors que chez les chinois, c’est traditionnellement l’inverse. Ce sont les conjoints qui doivent répondre aux exigences de nos pères pour être acceptés dans la famille. Car avouons-le, il était important pour nous, les filles, qu’ils fassent partie de notre famille, les Wang. En revanche, nous, faire partie de la famille du mari, bof…

Bref, ils devaient répondre aux standards de réussite. Or, réussir seul ce que les trois frères ont fait ensemble, c’est mission impossible, vous en conviendrez j’espère. Soit ils ont réussi, au point d’être constamment sous pression et de perdre en route leur humanité, soit ils ont échoué et ils ont subi le regard méprisant de ceux qu’ils espéraient convaincre. Les conjointes… pas encore assez d’exemple. Mais il est clair qu’elles doivent répondre à l’exigence de la bonne mère au foyer qui soutient le mari dans ce qu’il entreprend et faire des enfants à partir de 25 ans, autant faire une croix sur sa carrière professionnelle. Alors les études pour elles, en vrai, pour quoi faire ? Système patriarcal à fond.

En somme, quiconque a tenté de faire entrer une personne « étrangère » dans ce clan a connu un échec. Soit parce que nous avons tenté de répondre aux attentes du clan en faisant abstraction des nôtres, soit parce que nous avons tenté d’imposer notre choix sans tenir compte des attentes du clan. Ces échecs ne se résument pas à notre génération, je le rappelle. 

Alors nous sommes condamnés ?

Vous allez me dire, pourquoi parler de tout ça ? Peut-être pour ne pas répéter les mêmes erreurs en reproduisant les mêmes schémas. Peut-être que notre génération doit porter un regard plus critique sur cette « solidarité » que nous avons nous-mêmes tant vantée. Peut-être qu’il nous faut, nous, oser dire stop et oser protéger nos conjoints et conjointes actuels et futurs de cette pression toxique. Car un divorce, c’est l’échec d’un couple, et non pas seulement de l’autre, cette personne extérieure à ce clan, présentée systématiquement comme la personne qui nous fait du mal. Mais nous ? En quoi avons-nous fait mal à l’autre ? En quoi notre comportement induit par notre famille a été toxique pour l’autre ? On veut nous faire croire qu’on est une famille de gentils, incapables de faire du mal à qui que ce soit. Foutaise.  En vrai, individuellement nous ne faisons de mal à personne. C’est le poids de notre famille que nous subissons et que nous portons inconsciemment sur nos épaules qui fait du mal aux autres. Je ne suis pas une gentille petite fille, comme veut me faire croire mes parents. Je ne suis pas une sainte. J’étais juste inconsciente. Un inconscient est forcément un gentil, mais il peut quand même blesser.

Vous me direz « quelle solution alors ? » Regardez les couples qui fonctionnent. Ce sont ceux qui n’ont pas cherché outre mesure à vouloir faire entrer quelqu’un dans la famille. Ce sont ceux qui n’ont pas besoin du clan. Ils vivent leur vie sans chercher à tout prix à faire accepter la personne. Ce sont les personnes qui ont décidé de construire leur propre famille. La nuance est énorme. Il ne s’agit pas de faire entrer quelqu’un chez les Wang parce qu’inconsciemment nous continuons à la considérer comme notre seule famille (refuge). Il s’agit de créer sa propre famille, d’en être le coeur en tant que pilier de l’autre dans le couple, en tant que bâtisseur d’un nouveau foyer, en tant que parents. Il s’agit d’en être les administrateurs en gérant la vie quotidienne, la paperasse, les petits soucis du quotidien. Bref, d’en être les noyaux centraux d’une nouvelle famille. 

Parlons maintenant d’assistanat. Celui ou celle qui se sent assisté par nos parents lèvent la main. C’est l’effet pervers du clan sur nous. Non… un peu de suspense. Je vous laisse digérer toutes ces informations et la suite au prochain épisode. Ciao !

3 Replies to “Notre famille, entre le refuge rassurant et le clan toxique”

  1. Merci pour cette prise de recul et ces mots si justes. Je dirais qu’à cela s’ajoute la fuite du conflit. On ne peut pas être en désaccord avec une machine si puissante au risque d’être renié. C’est tellement absurde. Ne fait-on pas des enfants pour les aimer tels qu’ils sont?

    1. Oui, on obéit tellement qu’on finit par ne pas connaître nos propres désirs. Une fois qu’on est éveillé, on ne peut toujours pas être en désaccord avec les désirs de nos parents parce qu’on se fait tout simplement gronder, même à 35 ans ! C’est juste dingue.

  2. Merci pour cette analyse qui effectivement me rappelle bien ma propre expérience !

    Pour faire part de mon expérience personnelle, la pression de mes parents a été présente très tôt dans ma vie : quand j’ai commencé à faire du piano. Ils voulaient que je devienne pianiste professionnelle et que je gagne plein de concours. Dans quel monde ? Tout ça pour pouvoir s’en vanter !
    J’ai finalement été expulsée par la prof elle-même car je bossais plus mon piano et quel soulagement. Par contre, comme mes parents étaient très déçus, je leur ai proposé de m’inscrire à un club de ping pong pour remplacer le piano. D’où les deux ans de ping pong que j’ai faits au collège/lycée. Et oui vous ne saviez pas !
    Ensuite tous les problèmes que j’ai pu avoir au niveau de mes études.. Pour info, j’ai fait de la médecine et de l’économie et j’étais paniquée à l’idée de dire à mes parents que ça se passait mal car j’avais trop honte. Donc oui la pression était toujours présente.
    Ensuite le divorce ? J’aurais pu annuler le mariage mais je voyais pas du tout comment annoncer ça à mes parents. Et après je me suis cassée en Corée car j’avais besoin de changement !

    Pendant le premier confinement Covid j’ai pris le temps d’analyser toute ma vie, et j’ai pu voir à quel point mes parents avaient eu une influence toxique sur moi. Je me suis sentie comme une grosse merde pendant une grande partie de ma vie, car nos parents ne savent pointer que ce qui ne va pas chez nous et j’avais l’impression de tout le temps les décevoir. Pour avoir une idée, encore récemment ils m’ont demandé comment j’avais pu rater la médecine. Ce à quoi j’ai répondu : « Est ce que vous savez que j’ai fait une grande école d’ingé ? ». Ce qui a fait sourire mon père. Ha !
    En tout cas, cette analyse de ma vie m’a permis de me comprendre moi-même, comprendre comment j’en suis arrivée là et surtout à mettre une cause sur toutes les « blessures » du passé. Donc on peut dire que ça m’a aidé à guérir et à enfin avancer positivement dans ma vie !

    Mon mindset d’aujourd’hui : j’ai compris comment mes parents pouvaient m’influencer négativement et je ne me laisse plus faire à ce niveau-là. Les décisions que je prends aujourd’hui sont faites dans mon intérêt à moi et à moi seule.

    Pour ce qui est de la question de clan que l’on créerait nous, je suis plus sceptique. Même si nous avons les mêmes parents, mes soeurs et moi n’avons pas du tout eu les mêmes expériences.
    Aujourd’hui je partage beaucoup de centres d’intérêt avec mes soeurs et ça nous a rapproché, donc ce n’est pas vraiment l’influence du « clan ».
    Par contre c’est sûr que la solidarité est très présente. Pour moi le plus important aujourd’hui est que je puisse être un soutien positif pour mes soeurs, surtout quand elles sont dans un moment difficile !
    Donc ma bonne relation avec mes soeurs je vois ça comme une chance.

    Et par ailleurs, oui je me suis récemment encore faite « gronder » par mes parents parce que je ne voulais pas les écouter sur des choses liées à mon appartement. Ben c’est MON appartement en fait ? C’est MOI qui vis dedans ? Maintenant j’hésite toujours avant de leur demander des conseils, car leurs conseils sont des ordres à suivre absolument. Ils veulent juste qu’on les écoute comme des robots et ne nous ont jamais appris à réfléchir par nous-mêmes !

    Malgré tout ça, aujourd’hui je ne veux vraiment pas avoir de sentiments négatifs envers eux. Il y a du travail mais mes parents ne sont plus tout jeunes donc j’aimerais juste garder une bonne relation en esquivant leur toxicité.

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